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En plein essor chez les 15/34 ans. Risquée ou très risquée ?

Lèvres, fesses, seins, paupières… Les jeunes et très jeunes sont de plus en plus séduits par des interventions esthétiques, en plein essor en France ! Parfois proposées par de faux professionnels, celles-ci peuvent s’avérer très risquées.

En cette fin février, la salle de spectacle parisienne accueille la finale de Miss Esthétique. Les aspirantes peuvent être rondes, mariées, tatouées, et avoir eu recours à la chirurgie esthétique. « Il faut ouvrir la porte à toutes les silhouettes. Ce n’est pas parce qu’on a fait de la chirurgie esthétique qu’on n’a pas de valeurs », clame sur scène Chloé Raymond, candidate numéro 27.

En coulisses, elle nous raconte sa première opération, à l’âge de 30 ans, une augmentation mammaire. « On me juge rapidement sur mon physique de bimbo, mais j’ai un bac + 5. Ce concours, c’est un bon moyen pour stopper les préjugés », estime cette responsable administrative dans un bureau d’architecture, sélectionnée parmi les trois finalistes.

L’influence des réseaux sociaux

L’appétit pour la chirurgie esthétique est nourri par les réseaux sociaux, note Adel Louafi :

« Des jeunes patients me montrent des photos d’eux avec un filtre et me disent : je veux ressembler à ça. D’autres se trouvent bien en se regardant dans le miroir, mais pas sur les selfies. »

« Pour beaucoup de jeunes, le confinement a été dur, ils ont souffert de leur image. Ils ont voulu se faire plaisir », Stéphane Lafond-Berbon, responsable marketing chez Galderma. Avec la pandémie, l’usage des réseaux sociaux décolle et les interventions esthétiques suivent. En 2020, le nombre d’interventions de chirurgie esthétique a bondi de 20 % en France, selon le SNCPRE. Même constat auprès des laboratoires pharmaceutiques. En 2020, Galderma a doublé les ventes d’un produit injectable utilisé pour gonfler les lèvres.

Les tabous tombent et la nouvelle génération de patients n’hésite pas à partager son expérience chirurgicale. « Les interventions en médecine ou en chirurgie esthétique deviennent des “stories” », observe Aurélie Fabié-Boulard. D’après la présidente de la Sofcep, les jeunes femmes sont très demandeuses d’injections aux lèvres et les hommes, de plus en plus nombreux – ils représentent désormais 30 % de la patientèle –, consultent pour viriliser les angles du bas du visage avec de l’acide hyaluronique, ou pour contrer le vieillissement de la peau. Le Baby Botox®, des injections de toxine botulique microdosées pour prévenir l’apparition des rides et adoucir le visage, figure parmi les nouvelles tendances prisées par les plus jeunes.

Début janvier, le SNCPRE et plusieurs sociétés savantes ont lancé une alerte nationale contre les « injecteurs illégaux », ces faux médecins, pseudo-spécialistes ou prétendus cosmétologues qui cherchent à appâter les jeunes avec des images d’interventions réussies et des prix au rabais. « Une véritable économie parallèle s’est montée en quelques années. Celle-ci s’est engouffrée sur un vide juridique : l’acide hyaluronique, utilisé pour les injections, est en vente libre. Sans parler des cas où l’on injecte de l’huile de paraffine ou du silicone industriel », s’inquiète Catherine Bergeret-Galley.

« Botox party »

Posts sponsorisés sur Instagram, recrutement d’influenceurs… Les injecteurs illégaux ont une communication très agressive sur les réseaux sociaux. « Certains organisent même des “botox party” : si une jeune ramène ses copines, elle aura un tarif préférentiel », explique Adel Louafi. Ses patients lui rapportent des injections pratiquées dans des chambres ou des cuisines, sans respect des mesures élémentaires d’hygiène.

Les injecteurs illégaux ciblent les 15-35 ans, un public impressionnable qui croit agir en toute légalité, s’indigne Adel Louafi : « Une jeune femme a été physiquement menacée par le réseau de son “injectrice” si elle “ouvrait la bouche”. Je connais une seule fille qui ait osé porter plainte. Je vous passe la réaction du policier quand elle lui a expliqué qu’elle avait voulu se faire augmenter les fesses. »

Les réseaux sociaux modifient-ils la perception que les jeunes ont de leur apparence ?

Après avoir amplifié le phénomène de l’anorexie, les réseaux sociaux créent une forme de dysmorphophobie sociétale. A force de se regarder à travers de filtres photos qui gomment toute imperfection, le moindre petit défaut physique devient une obsession. Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus ressembler aux célébrités, mais à une forme améliorée d’eux-mêmes.

Les filtres Instagram donnent deux grands types de visage : un visage émacié, qui creuse les joues et renforce les pommettes. C’est un standard de beauté qui existe depuis un moment déjà et qui reste à la mode dans des grandes villes comme Paris, où la minceur est valorisée. L’autre type de visage créé par les filtres est plus étonnant : c’est l’effet manga, avec des grands yeux, une grande bouche et un petit nez.

Faites-vous un lien entre l’utilisation des filtres et l’attrait des jeunes pour la chirurgie esthétique ?

L’engouement pour la chirurgie esthétique est très clairement porté par les réseaux sociaux. Certains médecins se muent même en influenceurs sur Instagram, c’est une manne énorme pour eux. Je ne suis pas moraliste, je ne suis pas contre la chirurgie esthétique, mais on est en train de basculer d’une médecine réparatrice à un esthétisme tyrannique. Les injections, par exemple, ont une durée éphémère, leur effet disparaît au bout de trois ou quatre mois. On va peut-être découvrir une jeune génération qui développe une addiction à ces piqûres comme un moyen de continuer éternellement à correspondre à un idéal.

Comment lutter contre la dysmorphophobie sociétale ?

Comme disait le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott, le précurseur du miroir, c’est le visage de la mère. Les jeunes vivent dans l’image idéalisée d’un amour inconditionnel, ils se regardent beaucoup, ils sont pris dans la nostalgie du bébé. Les réseaux sociaux accentuent ce phénomène. En montrant que la beauté, c’est aussi la différence, le body positivisme, un mouvement qui prône l’acceptation de soi, apporte une solution intéressante. On pourrait également envisager des entretiens psychologiques avant une intervention esthétique, pour déceler si la demande d’intervention ne cache pas une symptomatologie plus profonde. Sinon, c’est comme un médecin qui prescrit un antidépresseur sans adresser le patient à un psychologue : appliquer un pansement plutôt que travailler sur les sources du problème n’est jamais efficace.

Le Monde, Margherita Nasi, 4 mai 2022