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Elle prend le large

Construire des habitations, voire des cités entières sur les mers et les océans, ce qui relevait hier du design fiction est aujourd’hui une réalité tangible face à l’urgence climatique.

La tour se situe à 268 mètres au-dessus de la mer. Sa physionomie futuriste est délirante. En juin 2021, l’architecte japonais Sou Fujimoto crée le buzz en gagnant le concours pour réaliser le Qianhai New City Center dans la baie de Shenzhen en Chine. Son projet – sur la base de 99 îles flottantes ! – à l’allure d’une cascade féerique avec, en son sommet, une plate-forme qui donne l’illusion de flotter dans les airs.

Il n’y a pas si longtemps encore, on regardait avec circonspection ces constructions aquatiques du troisième type. Rondes, ovales, effilées, ces maquettes de science-fiction aux allures de flocons de neige, de vaisseaux spatiaux ou d’oasis marines prêtaient même à sourire. Mais désormais, pour sauver l’humanité de l’exponentielle croissance démographique et d’un bouleversement climatique inéluctable, maisons, quartiers, cités ou micro-États flottants sont devenus les porte-flambeaux de toutes les imaginations Waterworld. Et si certains seigneurs de la Silicon Valley, comme Elon Musk ou Jeff Bezos, rêvent de conquérir l’espace, d’autres planchent sur des « micro-nations flottantes » et indépendantes, à l’instar de Patri Friedman (petit-fils de l’économiste libéral Milton Friedman) et du milliardaire libertarien Peter Thiel. Les deux hommes ont investi il y a quelques années plusieurs millions de dollars dans The Seasteading Institute, un groupe de réflexion destiné à promouvoir des projets mégalomaniaques aux allures d’arche de Noé. « Réinventer la civilisation avec des villes flottantes » affiche ainsi en exergue le site de l’Institut avant de détailler différents types d’hébergements sur l’eau, comme des petites capsules appelées SeaPods qui seraient ancrées au large du Panama ou une colonie flottante faite de modules de béton armé à 500 kilomètres des côtes du Brésil…

Avec l’inexorable montée des eaux et en ligne de mire 250 millions de réfugiés climatiques potentiels en 2050, penser de nouvelles manières d’habiter la planète est une priorité vitale. « Les hommes, dans le monde entier, ont depuis toujours eu la volonté d’établir un habitat lacustre. Mais l’accélération de la prise en compte du réchauffement climatique, la constante élévation du niveau des mers, l’augmentation de la population mondiale et la destruction des écosystèmes font qu’ingénieurs et architectes n’imaginent plus seulement des scénarios utopiques », explique Gille Ragot.

Résultat, ce qui relevait hier du design fiction est aujourd’hui une réalité tangible.

Pour preuve, le projet d’installer des villes flottantes, autonomes et résilientes pour répondre aux aléas climatiques, de la start-up Oceanix associée au célèbre cabinet d’architecte danois BIG, est soutenu par l’ONU. Cette future Oceanix City consiste en une série de plateformes hexagonales, chacune capable d’accueillir jusqu’à 300 habitants. Ces structures démontables, construites en matériaux durables, graviteront autour d’une serre pour former une ville amphibie amarrée à quelques kilomètres des côtes mais dans des eaux suffisamment profondes pour résister aux tsunamis, ouragans et tempêtes. Sur les plans, on découvre six zones reliées entre elles pour créer une ville de 10 000 habitants totalement autonome en matière d’énergie, d’eau potable et de chaleur. Pas de voitures pour se déplacer sur la « terre ferme », mais des vélos. Et pour naviguer entre les différents lieux, des bateaux électriques sont prévus. Les déchets, eux, seront transportés via des tubes pneumatiques pour être recyclés. Enfin, sous les plates-formes, une agriculture verticale et sous-marine permettra l’élevage d’algues et de fruits de mer. Un premier prototype sera installé à Busan, en Corée du Sud. Le chantier doit démarrer cette année pour une livraison en 2025. Alors, l’architecture bleue sauvera-t-elle le monde ? Face à une planète qui souffre, il n’y a pas que des travaux à grande échelle qui apportent des réponses concrètes.

Oceanix City, première île flottante (Corée du Sud) 

Centre commercial du Qianhai (Shenzen, Chine)

L’OBS, Dorane Vignando, 10 mars 2022