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Elle devient, so fun, so 2022 !

Oublié le cliché d’une Madame Irma momifiée dans sa roulotte, aujourd’hui, les pratiques divinatoires s’offrent un lifting foudroyant accéléré par les réseaux sociaux et porté par une génération de sorcières modernes

AU CAFE CONTRESORT

Niché dans une rue calme du 18• arrondissement de Paris, le décor plonge les clients dans l’ambiance : des signes du zodiaque ornent les murs bleu nuit ; des citrouilles et des bougies sont disposées un peu partout. A l’entrée, des jeux de tarot sont en libre-service ; même les papilles se mettent en mode magique avec, à la carte, des filtres et des potions – smoothies fumants à base de plantes médicinales, « Latte des sorcières » ou cocktail « Bananacadabra ».

Ouvert récemment par Mathilde Fac han et Eloïse Mehard, ce bistrot est rapidement devenu un hub mys­tique fréquenté par les fans de magie, tarot ou divination. « Notre clientèle vient de toute la France et même d’Europe », se réjouissent les deux amies passionnées par les mystères de l’univers. Diplômée de Sciences-po et d’un CAP de pâtisserie, Mathilde est tombée dans l’astrologie dès l’enfance et publie aujourd’hui son deuxième ouvrage sur le sujet (« Astro Pionner 2022 », éd. Solar). Eloïse, également pâtissière et dotée d’une licence de sociologie, s’est spécialisée dans la chirologie, la lecture des lignes de la main. Dans leur café, on peut venir faire le point sur sa vie et son avenir lors des soirées Focus Pocus, pendant lesquelles une dizaine de praticiens consultent : tarot et astrologie bien sûr, mais aussi bibliomancie (divination à partir d’un livre), cléromancie (tirage par les dés) ou oniromancie (analyse des rêves). Preuve de l’engouement, c’est grâce à un financement participatif qu’a pu ouvrir le café Contresort, boudoir branché à mille lieues des librairies ésotériques poussiéreuses d’antan.

Oublié en effet le cliché d’une Madame Irma momifiée dans sa roulotte, aujourd’hui, les pratiques divinatoires s’offrent un lifting foudroyant accéléré par les réseaux sociaux et porté par une génération de sorcières modernes. Ainsi, sur lnstagram, les comptes fleurissent avec des blockbusters comme Astrotruc, de Maheva Stephan-Bugni, qui rassemble 360 000 followers séduits par sa vision décalée des astres. Le compte perso de Mathilde Fachan, Z comme Zodiaque, est suivi par 14 000 abonnés, celui de Caroline Drogo, étoile montante du tarot, par 12 000. L’astrologie ou la divination se déclinent également en podcasts (« Z comme Zodiaque », « C’est quoi ton signe ? », « Sorcières connectées ») et sur TikTok ou YouTube. L’influence use Shera Kerienski, suivie par 1,9 million de personnes, publie régulièrement des vidéos dédiées à l’astrologie. Ses prévisions de l’année ou ses compatibilités amoureuses sont visionnées par des centaines de milliers de personnes.

Mathilde ne se dit pas astrologue et n’a pas la prétention de prédire l’avenir. « Notre démarche est plutôt de mettre en avant le potentiel des gens, confirme Eloïse. L’idée est d’apprendre à se connaître, à s’accepter. On est moins dans la divination que dans l’accompagnement et le développement personnel. » Caroline Drogo, elle aussi, reconnaît que ses tirages ont surtout pour but d’aider les gens à comprendre s’ils sont sur le bon chemin ou pas. Je décris leur personnalité, leurs forces, leurs faiblesses, les cycles qu’ils traversent. » Pour Shera Kerienski, « les signes astrologiques montrent la part d’ombre et de lumière en chacun de nous. C’est une façon de dédramatiser ». La baseline de son livre : Un guide pour aller mieux ». « Il y a désormais un véritable pont entre le domaine du bien-être et ces pratiques ésotériques, constate Alexandra Jubé, directrice d’un bureau de tendances. Les gens cherchent du sens et de l’apaisement. Aujourd’hui, Lili Barbery sort un « oracle » : on voit bien qu’on peut passer du yoga à la divination en un clin d’œil ! » L’ésotérisme, nouvelle cure de bonheur ?

Plutôt, en creux, le révélateur d’un grand flou. Nos témoins observent ainsi les mêmes états d’âme parmi leur clientèle : burnout professionnel, désir de reconversion, perte de sens, pression trop forte, incertitudes liées au Covid-19, etc.

Il faut dire que ces nouvelles croyances plus sexy, plus engagées et plus drôles sonnent comme un bon présage pour les marques et les éditeurs. Jeux de cartes, livres, collabs, nos sorcières 2.0 sont aussi des entrepreneuses avisées. « Gérer un café, ça demande d’avoir les pieds sur terre », s’amusent Mathilde et Eloïse. Caroline Drogo, elle, enchaîne les animations dans les soirées mode, prépare la sortie d’un nouvel oracle sicilien et d’un agenda divinatoire pour les collégiens chez Oxford.

Eloïse travaille sur un futur guide de chirologie. « Le marché de l’ésotérisme est en effet très dynamique depuis deux ans, constate Thomas Hérondart, chef de produit à la Fnac. C’est même devenu un enjeu pour des éditeurs généra­istes avec la création de nouveaux labels dédiés. » Face aux sollicitations, Maheva Stephan-Bugni a même décidé de prendre une agente, Ariane Geffard, qui gère notamment la carrière de Mona Chollet, dont le best-seller « Sorcières » n’est pas étranger à cette nouvelle vague magique. Sûrement un signe de plus …

ELLE, Éloise Mehard, 24 décembre 2021