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Comment le corps humain s’adaptera aux chaleurs extrêmes ?

Plus grands, plus minces… Et si notre morphologie évoluait pour mieux supporter les conditions extrêmes ?

S’adapter ou mourir. Au fil des millénaires, nos ancêtres ont survécu en transmettant, génération après génération, des traits génétiques leur procurant un avantage évolutif. Le changement climatique va-t-il une fois de plus placer l’humanité face à ce défi ? Cette « pression de sélection » modifiera-t-elle notre corps pour survivre aux extrêmes ? « Les Européens descendent d’Africains ayant émigré il y a 2 millions d’années, nous sommes des animaux tropicaux, résistants à la chaleur, réagit Alain Froment, anthropologue et biologiste au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Beaucoup d’humains vivent déjà sous des températures excédant 40 degrés. C’est vivable, à condition de bien s’hydrater avec un apport en sels minéraux, surtout pour les personnes âgées et les jeunes enfants. »

Quand le mercure s’enflamme, l’un des risques majeurs est le « coup de chaleur », une surchauffe parfois mortelle. Notre résistance dépend de notre santé, de l’humidité et de la durée d’exposition. Notre corps peut affronter 100 degrés quelques minutes dans un air très sec, comme dans un sauna. Mais selon une récente étude, la limite humaine chute à 38 degrés lorsque l’humidité atteint 60 %.

Une adaptation au froid

Nos lointains ancêtres ont surtout dû s’adapter… au froid ! Par des mutations génétiques, mais aussi grâce à la culture. « Elle va plus vite que la biologie, ajoute Alain Froment. Ça nous permet de vivre sous la mer, sur la Lune, loin de nos conditions d’origine. » L’invention de la climatisation est ancienne, rappelle l’anthropologue généticienne au MNHN Évelyne Heyer, auteure de L’Odyssée des gènes (Flammarion) : « On le voit en Iran avec les tours à vent, ailleurs avec des architectures favorisant la circulation de l’air. »

Si l’évolution humaine s’observe à l’échelle de millénaires voire de millions d’années, des caractéristiques comme la taille et le poids peuvent changer en un siècle en réponse à l’environnement. La stature des hommes de Cro-Magnon, il y a dix mille ans, s’est réduite avec la révolution néolithique, quand les chasseurs-cueilleurs nomades sont devenus sédentaires ; avant de croître grâce à un meilleur régime.

Plus la taille est grande et le volume petit, plus la « réfrigération » est efficace…

Avec un changement climatique prolongé, la pression biologique tendrait à nous rendre longilignes et minces. « Cette morphologie des peuples nilotiques d’Afrique de l’Est, les Massaïs ou les Peuls, est idéale pour abaisser la température », explique Alain Froment. Pour se maintenir à 37 degrés, l’homme dispose d’un thermostat : l’évapotranspiration. La peau se recouvre de sueur qui, en s’évaporant, pompe la chaleur. Or, plus la taille est grande et le volume petit, plus la surface de peau est étendue et plus la « réfrigération » est efficace…

À l’inverse, les Inuits ou les peuples des Andes limitent les pertes de chaleur avec des morphologies en « boule », membres courts et corps épais. Les Pygmées, soumis à une atmosphère chaude et humide où l’évapotranspiration fonctionne peu, présentent, eux, une stature réduite produisant moins de chaleur. Jusqu’où pourrait-on grandir ? « Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel ! », résume Alain Froment. Selon l’anthropologue, les Néerlandais, les plus grands des Européens (1,82 mètre en moyenne pour les hommes), seraient proches de la taille optimale. « Notre squelette ne supportera pas d’aller beaucoup au-delà », confirme Évelyne Heyer.

La morphologie ne devrait pas évoluer si l’atmosphère reste sèche

Les Européens pourraient-ils demain retrouver la peau foncée et le nez large de leurs ancêtres africains ? D’après l’étude de l’ADN ancien, cette couche de mélanine qui les protégeait des UV, tout en permettant la synthèse de la vitamine D, a persisté longtemps après leur migration sous le soleil moins intense de notre continent. Il a fallu attendre la domestication des animaux et des plantes sauvages, avec une nourriture appauvrie en vitamine D, pour qu’ils perdent cette pigmentation. « C’était il y a moins de huit mille ans, souligne l’anthropologue. Une évolution lente par rapport au rythme du changement climatique. On ne redeviendra pas noirs, car la quantité de rayonnement solaire n’augmentera pas. »

Quant au nez, large chez les hommes d’Afrique centrale, où l’air chaud et humide est bien toléré par les poumons, il s’est affiné dans les régions plus sèches (au Sahel) ou plus froides (en Europe) pour aider l’organisme à humidifier ou à réchauffer l’air. Sa morphologie ne devrait donc pas évoluer si l’atmosphère reste sèche. D’autant que les progrès de la médecine bousculent les lois de la sélection naturelle, juge Évelyne Heyer : « Est-ce qu’aujourd’hui les humains les plus grands se reproduisent plus et transmettent mieux leurs gènes ? Non. Et on sait se protéger du soleil ! » Au regard de la lenteur de notre évolution, estime Alain Froment, « mieux vaut compter sur l’inventivité de l’homme pour s’adapter ».

JDD, Juliette Demey, 17 juillet 2022