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Chouchoutés, confinés, les nouveaux enfants ne courent plus les rues !

Au lieu de jouer à la marelle ou de construire des cabanes, ils agitent leurs petites mains sur des claviers, bouffent des galettes bio et travaillent du chapeau.

Avez-vous remarqué à quel point l’enfant est devenu le grand absent de l’espace public urbain? Où sont passés les remuants joueurs de ballon, les sautillantes joueuses de marelle, les grappes bruyantes de sorties d’école, les petites bandes buissonnières du mercredi ? Même les trottinettes ne transportent plus que des adultes. Et si, par hasard, on croise à l’occasion un de ces spécimens rarissimes, il est toujours tenu fermement en laisse ou surveillé de près par un adulte !

En outre, le Paris de Doisneau et de ses minots en liberté n’est plus, c’est entendu, Paname se révélant souvent sale, hostile, et ses quartiers moins villageois que jadis. Mais de là à élever sciemment de véritables et fragiles « gamins d’intérieur » surprotégés et chouchoutés comme de coûteuses plantes vertes ? Il y a un pas que l’enfant-bonsaï franchit allègrement sous la houlette de ses paresseux et paranos géniteurs, bobos pur jus pourtant férus de parentalité positive.

On l’enracine

Il ne risque pas de se retrouver les radicelles à l’air, loin de ses bases. Tout est fait pour que la jardinière d’intérieur des petits humains occidentaux soit le plus attrayante possible : ils ont une chouette chambre, plein de jouets, des écrans variés, de bons goûters à 0 % de sucres raffinés…

Le week-end, leurs parents crevés par une semaine de boulot préféreront toujours faire des crêpes et jouer aux Kapla avec eux que se traîner au square ou taper la balle au parc, invoquant leur droit au « quality time », cette théorie qui autorise tous les renoncements aux grandes balades.

L’enfant contemporain est devenu tellement sédentaire que ses capacités physiques s’amenuisent dramatiquement, de 25 % en cinquante ans très exactement (source Sénat)! Une étude récente financée par la Matmut et le ministère des Sports sur les 10-12 ans donne des résultats accablants : trois enfants sur cinq qui entrent en sixième ne savent pas enchaîner quatre sauts à cloche-pied. Et un retraité actif de 65 ans ferait mieux qu’eux à la course… Quant à lancer un balIon, tous les profs d’EPS le notent : il faut les rééduquer à ce simple geste, faute de pratique. Agilité et coordination sont aussi en berne: là encore, les enseignants remarquent à quel point, dans les cours de récré, les empotés qui chutent au premier « chat » sont légion.

On lui met de l’engrais

Le petit bonsai humain a des géniteurs attentifs et qui cherchent à lui procurer les nutriments indispensables à une croissance harmonieuse. Ils lui préparent des pancakes aux épinards, des smoothies aux fruits rouges, des salades de pastèque-melon-orange, tirés de livres de recettes diététiques « pour les kids », secteur éditorial florissant.

Dès son plus jeune âge, ils le mènent chez le naturopathe pour le doper de compléments alimentaires triés sur le volet. Les rayons des pharmacies regorgent désormais de « gummies » pour petits, ces gommes véganes qui ressemblent follement à des bonbons : elles sont censées stimuler leur immunité, leurs performances, leur concentration, leur sommeil, voire la qualité de leurs cheveux ou de leurs os.

On l’abrite de la lumière 

Certaines plantes, souvent rares et chères, parfois exotiques, se flétrissent à la lumière trop vive et se développent mieux à l’ombre. Les parents de l’enfant-bonsaï semblent considérer que leur petit mérite ces précautions. Il n’est qu’à voir tous ces bébés porteurs de microlunettes de soleil.

De fait, un enfant occidental sur trois passe moins de trente minutes par jour à l’extérieur, sous les lux « violents » de la lumière du jour.

Et un sur cinq ne met pas le nez dehors de la journée (étude Persil pour la campagne #freethekids) !

La jeune plante grasse humaine s’étiole donc implacablement sous les éclairages artificiels. Avec un impact que l’on n’imagine pas sur sa vision du monde, au sens propre. 50 % des moins de 20 ans seraient désormais myopes en Europe. Le rapport ? Les professionnels de la santé visuelle sont formels :

la croissance de l’œil est proportionnelle à la quantité de lumière naturelle que la rétine perçoit chaque jour. Quand cette lumière manque (elle est moitié moins puissante à l’intérieur qu’à l’extérieur), la rétine finit par s’allonger, ce qui conduit à la myopie. Quarante minutes dehors par jour diminueraient d’un quart le risque (hors héritage génétique).

On le lustre 

Afin que son aspect pimpant fasse honneur à ses géniteurs, il bénéficie de soins jaloux. Pour ce faire, tout un marché de la cosmétique enfant 8-12 ans, entre le bébé aux fesses délicates et l’ado sujet à l’acné, est en train d’éclore.

Eh oui, désormais, on peut avoir sa « routine de soins » dès 8 ans ! Idem pour la garde-robe des petits bonsaïs bien proprets : le secteur des vêtements pour enfants (2-14 ans) serait à peu près le seul à résister à la tendance dévastatrice du moment (baromètre Kantar).

Conséquence normale de ces investissements, de moins en moins de parents acceptent de laisser leurs marmots se cochonner en liberté. S’agirait pas que ce mini-slim trognon ou cette petite doudoune hors de prix se salissent avec leur propriétaire ! La nouvelle est certes mauvaise pour les marchands de lessive. Elle l’est encore plus pour les enfants. Patouiller dans les flaques, jouer avec le sable et l’eau, se frotter à tous les micro-organismes présents dans la gadoue ou dans l’herbe, ont pour vertu de renforcer le système immunitaire.

On le met sous serre

C’est qu’il ne s’agirait pas d’exposer au froid la précieuse petite pousse : le gel peut être fatal pour les bourgeons ! C’est du moins ce que pensent les géniteurs d’aujourd’hui, toujours prêts à renoncer à une sortie en plein air au motif que « ça caille trop ». Il est certes louable de vouloir épargner des engelures à sa progéniture, notamment aux bébés qui ne bougent pas.

Mais quand on apprend que la Société canadienne de pédiatrie recommande de ne pas envoyer les enfants jouer dehors à seulement – 27 °C, on se dit qu’en France on a un peu de marge. Sans parler du bénéfice à ne pas mariner en vase clos dans les miasmes saisonniers.

Les Nordiques, de leur côté, mettent un point d’honneur à laisser leurs petits, bien emmitouflés, faire la sieste dehors au plus fort des frimas. Les laisser sommeiller au coin d’un radiateur relève pour eux du quasi mauvais traitement. Et, que l’on sache, le mini-Viking aux joues pomme d’api ne semble pas plus en péril que le baby ficus grandi sous abri.

On s’en sert pour la déco

 Certes, on ne le pose pas sur un rebord de fenêtre ou une console en rotin pour faire joli, mais c’est tout comme. Sur Instagram, notamment, et sur les comptes des fameuses « happy mums » ou des « cool daddies », il fait volontiers de la figuration chic, en premier plan ou en fond, apportant l’adorable touche qui excite les likes.

Les Anglo-Saxons nomment cela le sharenting, contraction de to share (« partager ») et de parenting (« être parent »). Avec le risque que la recherche de la bonne photo et de sa mise en ligne assortie de commentaires « mignons » prenne totalement le pas sur la réalité du Noël, du jeu, du repas ou de l’anniversaire en cours.

Marianne, Valérie Hénau, 29 mars 2023