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Chaque tendance entraine sa « contre-tendance ». Décryptage

Voltaire écrivait que les modes étaient un « impôt dû à la vanité». Elles sont aussi des repères dans un monde qui en manque souvent. Mais pour combien de temps encore…

Nous sommes en 1782. Mozart compose l’Enlèvement au sérail et, en effet, l’époque s’entiche de « turqueries » dans la mode, la déco, les loisirs… qui seront remplacées, des années plus tard (à partir de 1860), par la folie du japonisme. Ainsi va la valse des tendances.

Symboles de l’élite

Voltaire écrivait que les modes étaient un « impôt dû à la vanité». C’est bien la définition du snobisme, décrypte Vincent Grégoire, directeur du style à l’agence de conseil en stratégie NellyRodi. Elles ont été, au début, un point de différenciation, une façon de se singulariser.

Depuis les années 60 :

  • les marques se sont approprié ces symboles de l’élite pour en faire un objet commercial et populaire. Les nouveautés et les innovations étaient d’abord réservées aux « happy few » avant d’essaimer dans toute la population.

Dans les années 70 :

  • les orchidées blanches étaient super chics. Elles sont devenues banales, rappelle lexpert en tendances.

Et, parfois, il suffit d’une personnalité à la mode pour entraîner tout le monde, en témoigne Brigitte Bardot avec sa petite robe vichy dans les années 60.

«Actuellement, on est en mal de repères et ce qui reste, ce sont ces modes qui nous fédèrent, certes de façon superficielle. Leur promesse? Aller mieux en achetant la dernière tocade du moment », souligne Vincent Grégoire.

Notre inconscient collectif

Nous sommes souvent le jeu des tendances sans nous en apercevoir. « Après le Covid-19, j’avais une irrésistible envie d’aller en Grèce, raconte Danaé. Je me suis rendu compte, par la suite, que tout mon entourage était parti là-bas cet été-là ! »

La psychanalyste Sophie Braun, auteure de la Tentation du repli (Du Mauconduit), évoque le fameux « inconscient du collectif » cher à Carl Gustav Jung.

« D’après le psychiatre suisse, nous sommes pris entre deux feux :

  • le désir d’être soi
  • et l’envie de rentrer dans le collectif.

Nous oscillons en permanence entre l’individuel et le groupe. Les modes nous permettent de nous agréger au collectif. » Sauf que les tendances qui, hier, duraient le temps d’une saison, se multiplient aujourd’hui à la vitesse de l’éclair.

« Depuis une quinzaine d’années environ, on assiste à une accélération du phénomène », confirme Vincent Grégoire. Avec les réseaux sociaux, elles apparaissent dans la rue, plus précisément derrière l’écran, et sont récupérées par le marketing. Il faut tout un écosystème pour que la petite graine se développe et soit également captée par les industriels comme étant une « vraie tendance ».

Être soi ou obéir au groupe ?

Evidemment, chacun fera son miel des modes du jour. « Hier, en allant faire du shopping, j’ai vu une fille avec des cuissardes et des jambes sublimes. J’avoue que j’ai failli me faire avoir, sourit Sylvie. Et puis je me suis dit : « Ma grande, tu as passé l’âge! » »

« La mode nous confronte en permanence à ces choix qui consistent à être soi ou obéir au groupe. Et, de façon plus subtile, être soi-même au sein du groupe, analyse Sophie Braun. Avant d’embrasser une tendance, c’est à nous de nous interroger : est-ce vraiment pour moi ? etc.

Les ados, eux, se posent rarement la question. Il leur faut entrer dans la danse, que ce soit pour un jean déchiré, un tatouage etc. Très compréhensible, d’après Sophie Braun : « A cet âge, on cherche à se délivrer de soi à tout prix pour être conforme à ses pairs. Par ailleurs, poursuit la psy, l’uniforme mode peut aider considérablement à oublier son corps et ses particularités physiques. On a l’impression que, sous la veste tendance ou la combinaison du moment, notre corps en surpoids, trop petit, trop maigre… passe beaucoup plus inaperçu. »

Chaque tendance entraine avec elle sa « contre-tendance ». Autrement dit, tout et son contraire coexistent joyeusement. Exemple :

Le minimalisme green s’affirme au côté de ce que l’on pourrait appeler « extravaganza », la mode des bimbos aux faux ongles, du maquillage totalement excessif, des gâteaux en trompe-l’œil.

La dernière tendance cependant pourrait bien être, de n’en suivre aucune. « On passe tout doucement du Fomo (fear of missing out, peur de rater un événement), au Romo (relief of missing out, soulagement de rater un événement), note Vincent Grégoire. Après les addictions aux écrans, qui nous rendent si vulnérables aux mouve ments de foule, la toute nouvelle génération des post-millennials est en train tout simplement de couper son téléphone. Pour retrouver le bonheur de vivre, sur Terre, loin des modes. Et ça, c’est une bonne nouvelle. »

FeminaJDD, Sophie Carquain, 31 décembre 2022