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Carré de soie

Qu’on le porte en fichu ou autour du cou, avec motif classique ou original, le carré de soie est l’emblème de l’élégance. À chacune de se l’approprier selon sa personnalité.

Le 23 septembre 1784, Louis XVI met un terme à une situation qui ne tourne pas rond. Par lettre patente, il ordonne : « La longueur des mouchoirs qui se fabriquent dans le royaume sera égale à leur largeur. » Et impose ainsi à l’ancêtre des foulards la forme carrée. En cause, les nombreuses tromperies sur la marchandise, responsables de déformations « après un premier blanchissage », note de sa « pleine puissance et autorité royale » Louis XVI.

Le sujet est sérieux. Car ce bout d’étoffe utilitaire est devenu au fil des siècles un objet de luxe, s’invitant parfois dans la main des puissantes sur leurs portraits officiels, de Marie de Médicis à la reine Victoria.

Au mitan du XXe siècle, c’est sur la tête que son arrière-petite-fille, Elizabeth II, porte le carré de soie. Passionnée de chevaux, elle affiche une préférence pour Hermès, maison originellement liée au monde équestre, qui lance dès 1937 son premier carré dans la même matière que celle des casaques des jockeys, le twill de soie.

L’inspiration est alors à chercher dans le champ militaire où, fin XIXe, les « mouchoirs illustrés », de forme carrée, enseignent aux jeunes illettrés appelés sous les drapeaux, actions et procédures du maniement des armes aux gestes de premiers secours.

La reine d’Angleterre n’est pas la seule tête couronnée à l’adopter : pour la princesse consort de Monaco, Grace Kelly, Gucci crée en 1966 un carré fleuri, Flora. Suite à une fracture, c’est un modèle Hermès que l’ex-actrice noue sur son épaule pour immobiliser son bras.

Petit ou grand, le carré de soie se prête à mille expérimentations :

  • mêlé à une queue-de-cheval ou à un chignon,
  • enroulé autour de la taille,
  • noué autour du poignet,
  • attaché derrière la tête à la corsaire,
  • porté en fichu comme Audrey Hepburn dans Charade,
  • fixé sous la ceinture comme Kim Novak dans Vertigo.

Accessoire protéiforme et incontournable de l’élégance des décennies 1950 et 1960, il a su protéger les mises en plis et les brushings les plus emblématiques de l’époque (de Jacky Kennedy à Catherine Deneuve), jusqu’à ce que les années 1970 et les foulards hippies le ringardisent.

Resté longtemps sagement noué autour du cou, celui qui s’est imposé comme un symbole du vestiaire bourgeois, voire BCBG, tend toutefois à s’émanciper… revenant ces derniers temps coiffer les petites filles ou arrière-petites-filles de ces dames. Si le carré est un polygone régulier, la mode, elle, est un cycle.

Le Monde, Diane Lisarelli, 24 décembre 2022