Skip links

La maison en A, plan B des « fauchés »

Des maisons en bois et en triangle à moins de 60 000 euros ? Voilà l’utopie participative d’Elizabeth Faure, ancienne hippie. Toute une communauté de bricoleurs suit désormais les plans et tutoriels que la retraitée de 73 ans a mis en open source.

L’histoire d’Elizabeth Faure ne se résume pas à une comptine gentillette. Mais la singulière demeure que cette rebelle a érigée à 65 ans, de ses propres mains, dans le village de Lusignac (Dordogne), fait rêver bien du monde.

Pour moins de 40 000 euros, la retraitée a construit quasiment seule, en 2013, une bâtisse de 180 mètres carrés qui, depuis le confinement de 2020, suscite un drôle d’engouement.

Une visite s’impose, d’abord… Solidement planté en bordure de champs et de bois, l’antre d’Elizabeth Faure est un gros triangle à façade rouge terre de Sienne. Ce A géant est lui-même composé de 18 triangles de bois équilatéraux, dressés tous les mètres, que relient entre eux des panneaux de bois compressé couverts d’un pare-pluie puis de tuiles de bitume. La barre du A fait office de plancher du premier étage. A l’intérieur, on retrouve l’ambiance chaleureuse d’une maison en bois et on s’étonne, surtout, de ne pas se sentir écrasé par l’inclinaison des murs que forme le toit à double pente : la hauteur sous plafond et la surface confortablement habitable sur deux étages (112 m2, loi Carrez) dissipent les craintes.

Une pirate en polaire

« Je n’ai rien inventé », précise la bâtisseuse, pas du genre à se flatter l’ego. « Cette forme de bâti existe partout depuis la nuit des temps. Depuis Astérix et Obélix ! L’équilatéral, c’est la structure la plus costaude, la forme géométrique parfaite ». Pour expliquer le renouveau français des A-frame, comme on dit en Amérique, il faut aussi tenter de faire le tour du personnage qu’est Elizabeth Faure. Ce qui se révèle plus compliqué que le tour du propriétaire.

« Quand tu es pauvre, tu as aussi besoin d’une maison. Tu te sens mieux dans ta peau, tu te vois un avenir » – Elizabeth Faure

À 73 ans, désormais, malgré une chevelure blanche et l’affectueux cocker qui lui colle aux basques, cette retraitée sans retraite n’a rien d’une paisible et consensuelle mamie gâteau. Aux journalistes qui l’interrogent, elle suggère de potasser avant de venir « pour ne pas poser les mêmes questions idiotes que tout le monde »

Aide entre bâtisseurs

Toute une communauté gravite, désormais, autour de la maison en A, de son groupe Facebook (32 700 membres), de sa chaîne YouTube, de son site, de son blog… On s’y encourage : pas besoin d’être super bricoleur, juste de vouloir apprendre. On y échange des formules géométriques oubliées depuis le collège, des blagues éculées (« Mieux qu’une maison en T ? ») et des tuyaux précieux sur les terrains ou les charpentiers. On y exhibe ses plans 3D puis ses photos de chantier. On y maudit les banques radines en prêts pour l’auto-construction, les maires crispés sur leur PLU…

La hausse du prix des matériaux pousse à attendre des jours moins dispendieux en peaufinant le projet. Sur la carte interactive créée pour faciliter l’entraide entre bâtisseurs présents et futurs, par le biais des chantiers participatifs, une centaine de constructions sont en cours, le double est à venir.

A lire les commentaires laissés de toutes parts, le tipi géant bon marché rend à ceux qui l’avaient perdu l’espoir de devenir un jour propriétaires d’une maison. Sa structure en bois peut se dresser en une semaine (et 7 triangles, pour 49 m2 au sol), se transformer en habitat digne de ce nom en trois mois et s’adapter aux exigences écologiques : sur piliers, elle n’a que peu d’emprise au sol, son toit (grâce à sa surface et son inclinaison) se prête aux panneaux solaires, à la récupération d’eau… Pour s’en assurer, il n’y a qu’à rejoindre Antony Debarre sur son chantier, à Chantérac (Dordogne), non loin de là. Un gars du pays, costaud et barbu, autoentrepreneur dans l’audiovisuel mais tourneur fraiseur de formation. Il a démarré en septembre 2021 son projet de 160 mètres carrés (seuls 90 m2 loi Carrez seront taxés), « approche du hors d’eau », en est « aux bacs acier », plus coûteux mais écologiquement plus vertueux que les tuiles bitumées…

Des Normands, des Bretons, une quinzaine de personnes sont déjà venues se former en l’aidant. « Je n’avais pas les moyens de me lancer à 150 000 euros les 90 mètres carrés, et l’atypique, ça m’allait bien », déclare le quadragénaire qui, mains sur les madriers, exprime sa fierté de construire lui-même pour une cinquantaine de milliers d’euros. « Même si la maison n’est pas parfaite, c’est moi qui l’ai faite ! Elle aura une isolation en paille, des panneaux photovoltaïques, des petites éoliennes en faîtage, que j’ai fabriquées à l’imprimante 3D, des récupérateurs d’eau sous les 320 mètres carrés de toiture, pour les toilettes et les lavages… ».

LE MONDE, Pascale Krémer, 10 avril 2022