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4 filles, plus fortes que Kim Kardashian dans le vent du luxe !

Depuis son apparition, le groupe de K-pop, est suivie par des millions de followers sur les réseaux sociaux. Face à un tel impact, le rapport de force à changé et les  maisons de luxe se trouvent contraintes à des concessions qu’elles ne feraient avec personne d’autre, stars hollywoodiennes comprises !

Ce 26 juin, Bernard Arnault le grand patron de LVMH, vient à peine de prendre place au premier rang du défilé de la maison Celine, présenté au Palais de Tokyo, à Paris, qu’il se lève d’un bond. Bafouant ses habituelles manières protocolaires, traverse la salle, suivi en catastrophe par une garde prétorienne sur les dents.

Lui qui est toujours impassible se saisit de son téléphone et prend en photo la foule, comprimée sur la dalle du centre d’art parisien, et qui envahit également le trottoir et l’avenue qui le bordent.

Une véritable marée humaine se presse contre les barrières, avec des régiments entiers de midinettes débarquées des beaux quartiers comme des banlieues, ainsi que des enfants accompagnés par leurs parents. Tous se sont donné le mot sur les réseaux sociaux. Il n’est pas rare que les défilés provoquent de telles ruées. Mais ce qui se produit ce jour-là est d’un autre ordre.

Cette foule qui se masse ne fait pas le pied de grue pour célébrer le grand retour sur les podiums

non, les personnes qui se sont déplacées n’ont d’yeux que pour deux jeunes gens, deux stars de la K-pop, la musique populaire sud-coréenne. Un garçon et une fille : V, du groupe BTS, arrivé dans un Perfecto rouge, et Lisa, de Blackpink.

Machine de guerre redoutable

Avec ses morceaux chantés dans un coréen mâtiné d’anglais et arrangés de rythmes électro et d’envolées rap, le quatuor lancé en 2016 est une machine de guerre redoutable pour laquelle les frontières de son pays ont toujours été trop étroites.

A une époque où le marché de la K-pop a doublé de volume à l’international, selon une étude de la Korean Foundation, Lisa et ses amies ont réussi à hisser plusieurs de leurs titres aux meilleures places de l’éminent classement américain du Billboard Hot 100. En 2020, elles sont aussi devenues le premier girls band sud-coréen à s’afficher sur la scène de l’hyper médiatisé festival californien de Coachella.

Surtout, leurs clips, animés par des chorégraphies ébouriffantes sur fond d’effets spéciaux dignes de blockbusters hollywoodiens, cumulent des records de visionnages.

Sur la scène de la K-pop, le groupe féminin formé par Jisoo, Lisa, Jennie et Rosé tranche avec la plupart des ensembles du même genre, généralement composés de huit à dix membres, voire plus, le fameux boys band NCT est composé de vingt-trois garçons.

Des contrats juteux

Aux yeux des maisons de luxe, obsédées par la crainte de voir leur étoile pâlir, Blackpink est une bénédiction. « Parce qu’elle est née il y a trente ans dans une période de transition démocratique en Corée du Sud, la K-pop a toujours insufflé des idées de liberté et d’égalité, remarque Tamar Herman. Blackpink incarne ces valeurs. En travaillant avec le groupe, les marques s’offrent cette image. »

Peu importe, alors, qu’Hedi Slimane, directeur artistique de Celine et aficionado devant l’éternel d’un rock pur jus, ne soit pas amateur de la musique des quatre héroïnes coréennes. Ce qui compte pour lui est ailleurs : dans ce qu’elles ont en elles de générationnel. Comme Lady Gaga, elle aussi égérie de la maison.

Tout partager

Ce qui rend ces quatre filles si précieuses aux yeux des marques du luxe est leur incroyable impact sur les réseaux sociaux.

Sur Instagram, le groupe est suivi par plus de 50 millions de followers, pour la seule année 2022, leur compte a gonflé de quelque 20 %. Et, sur le même réseau, l’influence de chacune d’elles prise séparément est plus forte encore :

  • 64 millions de followers pour Rosé,
  • 65 millions pour Jisoo,
  • 71 millions pour Jennie
  • 83 millions pour Lisa.

Des armadas de « blinks », le nom officiel des fanatiques du quatuor, qui ont la particularité de tout commenter, de tout liker et de tout partager jusqu’à plus soif.

« Aujourd’hui, 40 % du trafic Instagram repose sur des influenceurs, et Blackpink est au sommet de cette pyramide. Chaque post de Jisoo est vu 45 millions de fois. » Thomas Repelski, de l’agence de marketing Lefty

Un indicateur rend compte de cette puissance : le taux d’engagement, (rapport entre le nombre de likes par publication d’un compte et son nombre de followers).

Pour un influenceur mode efficace, il se situe autour de 1,5 %,

Pour Kim Kardashian, par exemple, il est de 0,52 %. A des années-lumière de là, Jisoo est à 7 %, et c’est peu ou prou du même ordre pour ses trois camarades.

Preuve de son importance chez Dior, Jisoo a déjà cumulé cette année un peu plus d’une cinquantaine de publications consacrées à la maison. L’équivalent de 2 milliards de vues et     20 % de la contribution des influenceurs à la visibilité de l’enseigne de l’avenue Montaigne, selon l’agence Lefty.

Blackpink se distingue aussi par le zèle avec lequel ses membres s’acquittent de leur mission d’ambassadrice. Alors que leurs contrats, négociés au cordeau, leur imposent de réaliser un nombre précis de posts, elles n’hésitent pas à aller au-delà, signalant toutes les petites attentions des marques à leur égard : le moindre bouquet de fleurs offert, le moindre carton d’invitation personnalisé reçu. Et elles taguent, à chaque fois, la maison, générant ainsi du trafic.

L’Asie, une zone en pleine progression

Les audiences vertigineuses de Blackpink contribuent mécaniquement à faire gonfler les ventes. Les foules qui suivent avec acharnement ses faits et gestes sont constituées d’un fort contingent de Sud-Coréens, et c’est là une sacrée aubaine.

Au pays du Matin-Calme, le marché du luxe croît d’environ 30 % par an, selon le cabinet d’audit KPMG. En 2024, il devrait représenter pas moins de 7 milliards de dollars (6,7 milliards d’euros) de ventes. Plus généralement, parmi les centaines de millions d’abonnés des quatre jeunes femmes, beaucoup viennent du sud-est de l’Asie, de l’Indonésie aux Philippines, en passant par Singapour, zone également en pleine progression pour le commerce de luxe.

 Aujourd’hui, parce que l’algorithme d’Instagram favorise des influenceurs comme Blackpink au détriment des marques, le rapport de force a changé.

Face à un tel impact, les champions français du secteur n’ont en réalité pas d’autre choix que de collaborer avec elles. Les maisons se retrouvent ainsi contraintes à des concessions qu’elles ne feraient avec personne d’autre, stars hollywoodiennes comprises. Aux défilés, elles les laissent débarquer avec toute une nuée de caméras et de petites mains, au risque parfois de bousculer la liturgie parfaitement huilée de ces événements.

Sur le terrain du luxe, Blackpink ne se contente pas de ses partenariats avec les maisons traditionnelles de mode parisiennes. Aujourd’hui, trois filles du groupe sont aussi liées à un joaillier de renom :

  • Rosé représente Tiffany,
  • Lisa fait la promotion de Bulgari
  • Jisoo roule pour Cartier.

Quant à Jennie, si elle ne compte pas encore de marque de bijoux dans son portefeuille, elle s’est permis un pas de côté en apparaissant dans la nouvelle campagne Calvin Klein, en compagnie, notamment, de l’actrice Chloë Sevigny et de la mannequin Precious Lee.

Exposition providentielle

La créatrice franco-américaine Alexia Elkaim a d’abord dit non lorsque les stylistes de Jennie et Rosé l’ont approchée pour piocher dans le vestiaire de son jeune label Miaou. D’abord, parce qu’elle ne s’était jusque là jamais vraiment intéressée à Blackpink et au phénomène qui l’entoure. Mais aussi parce que les Sud-Coréennes réclamaient des pièces dont elle n’avait que des prototypes. « Quand j’ai dit que j’avais refusé, mon bureau de presse a failli s’arracher les cheveux. On ne pouvait pas manquer une opportunité pareille. Alors je suis revenue sur ma décision. » Quelques jours plus tard, Rosé et Jennie paradaient sur la scène de leur tournée mondiale sanglées dans des corsets en latex qui font le style de Miaou.

Depuis, Alexia Elkaim ne connaît toujours pas bien la musique de Blackpink, confesse-t-elle. Mais elle a pris conscience de l’incroyable influence des quatre Sud-Coréennes et se réjouit volontiers de les voir associées à sa marque. Elle a prévu d’envoyer une seconde salve de tenues dans le courant du mois de février.

A la merci du changement

Cet engouement autour de Blackpink, avec tous ces logos, tous ces likes et tout cet argent, peut-il vraiment durer ? le spécialiste de l’influence en ligne Thomas Repelski note « La culture change en permanence, et Blackpink peut très bien passer de mode. Ce n’est pas pour rien si les contrats d’égérie ne s’étirent que sur un an ou deux renouvelables. »

Car Pékin peut influer sur le sort des teen idols de K-pop. Les groupes de garçons, souvent maquillés et portant des tenues chatoyantes, sont ainsi dénoncés dans les médias officiels chinois comme « trop efféminés », leurs boucles d’oreilles sont d’ailleurs floutées à l’écran. Et la Chine n’apprécie pas non plus l’idée que la jeunesse du pays écoute de la musique étrangère. Or, le marché du luxe n’ayant aucune envie de froisser la Chine, qui représente pour certaines maisons la plus grande part de leur chiffre d’affaires, il peut très bien, d’un jour à l’autre, décider de délaisser ses égéries sud-coréennes.

La situation des filles de Blackpink est d’autant plus fragile que le groupe se trouve à la merci d’YG Entertainment. Au moindre accroc, même bénin, leur maison mère peut les éjecter sans aucuns états d’âme. Elle l’a d’ailleurs déjà fait avec le girls band 2NE1. Il y a quelques années, une des membres de cette autre écurie façonnée par YG, souffrant d’un trouble de déficit de l’attention, s’est retrouvée au cœur d’une tempête médiatique pour s’être fait prescrire aux Etats-Unis des médicaments interdits en Corée du Sud. L’opinion a tiré à boulets rouges sur elle en l’accusant d’être une « toxicomane ». Pour couper court à la polémique, YG a démantelé les 2NE1 sans délai.

Le Monde, Raphaël Malkin, 25 novembre 2022