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« Gender fluid » : quand le parfum devient non genré !

Lavande, caramel, vanille… ces notes olfactives « féminines » qui s’invitent du côté des parfums pour homme et cassent les codes. 

L’histoire du parfum « masculin » et « féminin » suit tout simplement l’idée de segmentation des lignes de vêtements pour hommes et femmes. 1904 : Guerlain commercialise deux parfums dont la cible et les notes olfactives sont très distinctes : Mouchoir de Monsieur et Violette de Madame : fleurs pour elle et fraîcheur propre pour lui.

Il s’agissait au départ d’un moyen de se repérer, mais très vite, hommes et femmes ont fini dans des catégories dont il était très difficile d’en sortir : la théorie du rose pour les filles, et le bleu pour les garçons. Donc il en était de même pour les notes olfactives, résultat : on en est arrivé au point de « rassurer la virilité des hommes », pour qui il n’était pas naturel de porter du parfum.

Mais depuis peu, de grandes maisons de mode telles que Yves Saint Laurent, Christian Dior ou Jean Paul Gaultier s’aventurent dans un transfert de fragrances qui permet de définir le genre du parfum par la personne qui le porte : on parle de reconstruction olfactive.

Le bien-être n’a pas de sexe  

Une petite révolution, amplifiée par la crise due au Covid-19, pourrait aussi changer la donne. Le parfum n’est plus seulement un accessoire de séduction : il est devenu une parure invisible de bien-être personnel, une bulle protectrice permettant de se réconforter, de se protéger des agressions du monde extérieur. Dans ces conditions, tout devient ouvert dans le choix des matières premières et l’écriture du parfum.

Seule compte l’évocation de la nature et d’une forme de bien-être qui n’appartient à aucun sexe. Byredo, Gucci ou encore Calvin Klein parlent de parfum « universel » : un nom qui ne fait référence à aucun genre, un flacon qui ne choisit pas son camp, une communication axée autour d’un public de tous les âges et de tous les sexes.

Certains marchés ont depuis longtemps tiré un trait sur toute notion de genre dans le parfum. En Inde, un homme apprécie autant le jasmin dans un flacon qu’une femme. Une fragrance orientale telle que l’iconique Shalimar, de Guerlain, appartient aussi au domaine masculin à Dubaï ou à Oman. En Chine, les hommes portent Chance eau tendre, de Chanel, parfum féminin à l’origine. « La rose connaît un boom incroyable en Chine, chez les femmes, bien sûr, mais aussi chez les hommes », assure Sabine Marchan, directrice des études stratégiques chez Firmenich. Quant à Terre, d’Hermès (troisième parfum masculin le plus vendu en France selon le cabinet NPD), il a été adopté par un grand nombre de Françaises.

Le goût de la transgression 

« Le risque de la parfumerie non genrée, c’est l’affadissement qui vient d’une forme de minimalisme destiné à plaire à tout le monde. » Jacques Cavallier-Belletrud

Inspiré par Gabrielle Chanel, qui a volontiers emprunté au vestiaire masculin certains codes de sa mode féminine, Olivier Polge, le parfumeur maison de Chanel, croit que les archétypes sont des constructions marketing qui ne concernent pas le consommateur. Qui peut bien dire si Le Lion, de Chanel, composition orientale au tombé impeccable qui associe des bois riches à la douceur de la vanille, est un jus masculin ou féminin ?

LE MONDE, Lionel Paillès, 13 février 2022